Mars a longtemps marqué le début de l’année dans l’ancienne Rome, bousculant la logique actuelle qui place janvier en tête du calendrier. Cette organisation n’est pas le fruit du hasard, mais d’un enchevêtrement de coutumes, de réformes politiques et de calculs astronomiques.
L’histoire du calendrier n’a rien d’une ligne droite : il s’agit d’un chantier perpétuel, ponctué de mois créés, déplacés, parfois mis de côté par les autorités du moment. Chaque civilisation a tenté, à sa façon, de maîtriser l’écoulement du temps, quitte à bouleverser tout ce qui semblait acquis. Les règles du jeu ont changé plus d’une fois, souvent en contradiction avec ce que l’on considère aujourd’hui comme allant de soi.
Pourquoi le mois de janvier n’a pas toujours été le premier de l’année
Rien n’a jamais vraiment été acquis dans la façon de compter les mois. Le calendrier, loin de la stabilité qu’on lui prête, a changé de visage à plusieurs reprises. Le début de l’année fixé à janvier ne s’est imposé qu’après une longue succession d’ajustements. Au départ, sous l’Antiquité, les Romains plaçaient le commencement de l’année en mars, sous la protection du dieu du même nom, Mars, censé guider la reprise de la vie publique et des campagnes militaires. Ce calendrier épousait le rythme de la terre, la logique des récoltes et le retour des affaires civiques. Rien n’était laissé au hasard : mars sonnait la renaissance de la cité, la reprise des cultes et des débats politiques.
Pendant longtemps, l’idée de démarrer l’année en janvier n’a pas fait l’unanimité, ni à Rome, ni ailleurs. Janvier, dédié à Janus, dieu à deux visages, ne s’impose en tête du calendrier qu’au IIIe siècle avant notre ère, sous l’effet de réformes successives. Derrière ce choix, un objectif clair : faire coïncider le calendrier civil avec la prise de fonction des magistrats, pour plus de cohérence administrative. Pourtant, l’adoption du changement ne se fait pas du jour au lendemain. Les vieilles habitudes persistent : l’année religieuse ou certaines pratiques continuent, dans de nombreux cas, à débuter en mars. Résultat, la chronologie reste brouillée, chaque région ou corporation défendant ses usages.
Le cas de la France illustre bien cette diversité. Jusqu’au XVIe siècle, le début de l’année varie d’une province à l’autre : Pâques, Noël, ou encore mars servent de points de départ, selon les traditions locales ou les besoins de l’administration. Ce n’est qu’avec l’édit de Roussillon, signé par Charles IX en 1564, que le 1er janvier devient le repère unique sur tout le territoire. Derrière cette décision, la volonté d’unifier les pratiques, de simplifier la gestion des affaires publiques et commerciales. On comprend alors que le calendrier, loin d’être neutre, traduit l’équilibre des pouvoirs, les héritages religieux et les enjeux de chaque époque.
Des calendriers antiques au calendrier grégorien : une évolution fascinante
Pour fixer le temps, les sociétés antiques ont rivalisé de créativité, multipliant les systèmes calendaires. Chez les Romains, le calendrier mêlait cycles lunaires et corrections solaires improvisées. Rien d’étonnant, alors, à ce que les dates s’égarent, que les fêtes se décalent et que les saisons se retrouvent sans repères stables. Un désordre qui finit par exaspérer les autorités. En 46 avant notre ère, Jules César tranche : il lance une réforme d’ampleur. Le calendrier julien voit le jour, fondé sur douze mois fixes et l’ajout d’une année bissextile tous les quatre ans, histoire de rester au plus près du cycle solaire.
La nouveauté s’impose vite dans tout l’Empire. Mais même ce système, plus robuste, n’est pas infaillible : chaque année, le calendrier julien accumule un surplus d’un peu plus de onze minutes. Ce décalage, anodin en apparence, finit par déplacer l’équinoxe de printemps et perturber la synchronisation des fêtes chrétiennes avec le calendrier solaire. Au XVIe siècle, le retard dépasse dix jours.
Face à la déroute, le pape Grégoire XIII intervient en 1582. La réforme grégorienne corrige la trajectoire : dix jours sont supprimés du calendrier, et seules les années séculaires divisibles par 400 demeurent bissextiles. Le calendrier grégorien s’impose peu à peu dans toute l’Europe, puis au-delà. L’enjeu ne se limite pas à la précision astronomique : il s’agit aussi d’unifier les pratiques religieuses, de donner une structure fiable aux rendez-vous commerciaux et sociaux. À partir de là, les douze mois prennent la forme que l’on connaît aujourd’hui, et notre rapport au temps devient plus stable, plus prévisible.
Significations culturelles et héritages : ce que les mois révèlent sur nos sociétés
Le découpage des mois, dans notre calendrier, n’a rien d’anodin. Il porte l’empreinte de Rome, mais aussi celle des évolutions politiques et des bouleversements religieux. Les noms des mois racontent à eux seuls une histoire complexe, où se mêlent légendes, pouvoirs et adaptations successives. Janvier, par exemple, rend hommage à Janus, ce dieu romain des commencements, des passages et des portes. Février évoque les rites de purification des februa antiques. Mars, lui, rappelle la société guerrière de Rome, marquée par le rythme des campagnes militaires.
La place de septembre, octobre, novembre, décembre dans la liste des mois souligne un décalage ancien. Leur nom signifie respectivement septième, huitième, neuvième et dixième mois, preuve que l’année démarrait autrefois au printemps. Ce vestige, hérité des réformes du calendrier, survit dans la langue, témoin de l’attachement aux traditions et de la lenteur des changements institutionnels.
Pour mieux comprendre ces évolutions, voici quelques repères marquants à travers les siècles :
- Rome a imposé la présence de ses dieux et de ses figures historiques, Jules César, Auguste, jusque dans le nom des mois.
- En France, le calendrier mettra des siècles à s’aligner, tant les usages religieux et locaux résistent à l’unification.
- Certains repères populaires, comme les vendanges de septembre ou les moissons d’août, continuent de rythmer la vie collective, bien au-delà de la stricte mesure du temps.
Les mois du calendrier sont bien plus que de simples divisions du temps. Ils servent de balises collectives, capables d’unifier des territoires, de rythmer la vie des sociétés, tout en transmettant, à travers leurs noms, l’écho d’anciennes civilisations. On retrouve ainsi, dans la trame du calendrier, la mémoire des pouvoirs successifs et des croyances qui ont façonné notre rapport au temps. De Rome à aujourd’hui, chaque mois porte une histoire, parfois oubliée, mais jamais tout à fait effacée.